Le GOPA fait part de ses inquiétudes à l'ambassadrice du Canada au Guatemala concernant l'érosion du système judiciaire, du droit à la défense, et de l'exploitation minière canadienne au Guatemala.

La lettre suivante a été envoyée à l'Ambassadrice du Canada au Guatemala Rajani Alexander le 24 mars 2023.

Chère ambassadrice Alexander,

Veuillez accepter les salutations du Groupe d’orientation politique pour les Amériques (GOPA), un réseau national d’organisations de la société civile canadienne ayant une histoire de 30 ans de travail pour les droits de la personne et la justice en Amérique latine et dans les Caraïbes. Nous espérons que cette lettre vous trouvera bien.

Nous vous écrivons pour faire suite à la réunion que vous et d’autres membres du personnel de l’ambassade avez eue le 29 novembre 2022 avec les organisations GOPA qui travaillent au Guatemala. Nous avons trouvé la discussion très utile, et nous vous remercions de nous avoir rencontrés.

Nous tenons également à remercier l’ambassade de s’être prononcée avec force en décembre sur le procès et la condamnation de la procureure anticorruption, Virginia Laparra. La position de principe du Canada concernant la persécution de Mme Laparra a été notée par les médias et le public guatémaltèques et, à notre avis, renforce la campagne en faveur de sa libération. Nous vous demandons de continuer à exprimer votre préoccupation pour les violations des droits de Mme Laparra, pour une justice impartiale et pour les garanties de son droit à des soins de santé adéquats. Mme Laparra a besoin d’une intervention chirurgicale d’urgence immédiate pour traiter un diagnostic de santé grave, mais jusqu’à présent, les autorités n’ont pas répondu. Les conséquences de l’inaction à cet égard sont profondément inquiétantes.

Compte tenu de la cooptation du système judiciaire guatémaltèque au cours des dernières années, le rôle du Canada et d’autres membres de la communauté internationale dans la surveillance d’affaires comme celle de Virginia Laparra et la dénonciation des abus devient encore plus vital.

Nous exhortons l’ambassade à prendre un intérêt public similaire dans le dossier du Diario Militar, impliquant le procès de plusieurs officiers militaires pour la disparition forcée de 183 Guatémaltèques, dont certains sont des parents de citoyens canadiens.

L’affaire Diario Militar est le cas de justice transitionnelle la plus importante au Guatemala depuis le procès pour génocide de Maya Ixil en 2013. Le 15 novembre 2022, le juge qui présidait cette affaire, le juge Miguel Ángel Gálvez, a été contraint de démissionner et de fuir le pays à la suite d’une campagne concertée de menaces et d’intimidation menée par la Fondation contre le terrorisme (FCT), une organisation promilitaire qui a cherché à entraver et à arrêter les procès en matière de droits de la personne. Nous partageons la crainte exprimée par les demandeurs que cela n’ouvre la porte à un démantèlement total de l’affaire. Nous pensons donc qu’il est plus important que jamais de démontrer que la communauté internationale veille et que le respect de la primauté du droit est primordial. Lors des audiences précédentes, la présence de fonctionnaires de l'ambassade et d'observateurs internationaux a considérablement dissuadé les familles et les témoins de se faire harceler pendant la phase d'établissement des preuves. Nous demandons à l’ambassade d’être représentée aux audiences en cours du Diario Militar, en particulier lorsque l’indépendance judiciaire est clairement menacée.

En effet, nous sommes profondément préoccupés par la situation extrêmement grave et qui se détériore en matière de droits et de justice au Guatemala, qui est trop souvent éclipsée par les crises dans d’autres pays qui font la une des journaux.  Nous apprécions l’investissement du Canada dans les efforts internationaux visant à soutenir la lutte contre l’impunité au Guatemala, et nous appelons à une pression stratégique renouvelée pour faire face à un dangereux recul qui menace l'État de droit.

Nos organisations ont documenté de multiples cas de criminalisation de procureurs, des juges et des magistrats dans un but évident. Parmi les personnes visées figurent des membres du Bureau du Procureur général des Droits de la personne, du Bureau des procureurs spéciaux contre l’impunité, des magistrats de la Cour Constitutionnelle, des juges de tribunaux à haut risque et des tribunaux impliqués dans des affaires emblématiques de violations graves des droits de la personne et d’enquêtes sur la corruption à grande échelle.

Au cours de l’année écoulée, d’autres procureurs ont été arrêtés et d’autres ont fui le pays par crainte d’être détenus et poursuivis pour leur travail contre la corruption.  Ce qui est en jeu, ce n’est rien de moins que l’indépendance du pouvoir judiciaire, le droit à une procédure régulière et le droit de défendre les droits de la personne. Comme l’a dit un défenseur autochtone à l’une de nos organisations, « si des juges sont attaqués et forcés de fuir, quel espoir y a-t-il pour ceux d’entre nous qui ont toujours été privés de nos droits, criminalisés et attaqués ».

Il est absolument impératif de faire pression sur le Guatemala pour qu'il garantisse l’indépendance des fonctionnaires de la justice, le droit à une procédure régulière et le droit de défendre les droits de la personne.

Au milieu de la réduction extrêmement préoccupante de l’espace pour la société civile, nous apprécions le soutien de l’ambassade qui nous a permis d’obtenir une réunion avec la mission diplomatique du Canada à Genève pour une délégation d’organisations de la société civile guatémaltèque effectuant d’importants travaux d’échange d’informations et de plaidoyer liés au processus d’EER.  Nous exhortons le Canada à donner suite à ses recommandations. Nous demandons également à soutenir la mise en œuvre d’une politique publique pour la protection des défenseurs des droits de la personne qui a été ordonnée par la Cour interaméricaine des droits de l’homme en 2014, mais qui n’a jamais été adoptée. Le plaidoyer sur ces fronts s’inscrit dans le mandat des lignes directrices des Voix à risque pour les défenseurs en danger.

Enfin, lors de notre discussion du 29 novembre 2022, vous avez demandé de plus amples renseignements sur les activités des entreprises extractives canadiennes au Guatemala. Nous avons joint un mémoire d’une page qui met en lumière les cas qui nous préoccupent le plus (voir l’annexe).

Nous vous remercions à nouveau de nous avoir rencontrés et nous nous attendons à poursuivre nos discussions bientôt.  Nous croyons qu’un dialogue continu entre l’ambassade et les organisations de la société civile canadienne opérant au Guatemala est particulièrement important dans le contexte actuel d’une campagne électorale déjà entachée d'irrégularités et d’une nouvelle campagne d’État contre la liberté de la presse.

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